Patrimoine culturel kabyle

Figue noire de Kabylie
Figue noire de Kabylie

Patrimoine culturel kabyle : La culture kabyle appartient à l’ensemble culturel berbère, comme celles des Chaouis, des Touaregs, des Chenouis, des Mozabites, ainsi que des autres berbérophones d’Afrique du Nord. De par l’histoire et la proximité, elle a considérablement influencé la culture urbaine des villes d’Algérie, comme Alger ou Constantine. Mais elle est par nature variée et diverse, comme l’a écrit Mouloud Mammeri :

« Chaque village est un monde. Un sol bourré de valeurs, de traditions, de saint lieux, […] d’honneur ombrageux, de folles légendes et de dures réalités. »

Institutions et évènements culturels

Oliviers en avant-plan du mont Lalla Khadidja

Oliviers en avant-plan du mont Lalla Khadidja

Les rapports entretenus par les populations de Kabylie avec leur environnement montagnard se sont traduits par un savoir-faire local agricole, un art de vivre et des rites dont la transmission est remise en cause de nos jours par l’exode rural. Deux arbres sont emblématiques de la région tant au niveau économique que culturel : l’olivier et le figuier. La cueillette des olives constitue encore dans beaucoup de villages kabyles à la fois un rite et un moment de fête où se manifeste la tradition de solidarité appelée tiwizi. Souvent ces coutumes prennent la forme d’une véritable fête de l’olivier.

L’olivier est surtout cultivé pour la production de l’huile d’olive (zzit uzemmur), réputée l’une des meilleures du bassin méditerranéen. Avec une production annuelle de près de 17 millions de litres, soit un tiers de la production nationale, la wilaya de Béjaïa est leader dans la production d’huile d’olive. Les wilayas de Béjaïa, Tizi Ouzou, Bouira et Jijel représentent ensemble 80 % de la production nationale. Il existe différentes variétés, parmi lesquelles celle de Tazmalt, médaillée à l’exposition universelle de Bruxelles en 1910, celle d’Illoula, de couleur verte jade, ou encore celle, rose et orangée, de Seddouk. L’huile était très utilisée dans la médecine traditionnelle, alimentait les lampes et constituait un ingrédient important dans la confection du savon noir (combinée à de la potasse) ou d’autres produits de beauté comme le khôl (tazoult). Le bois de l’olivier s’emploie comme bois de chauffe pour surmonter les hivers rigoureux et enneigés tandis que le feuillage et les fruits de mauvaise qualité (tout comme ceux des autres cultures) servent à l’alimentation du bétail.

De nos jours, l’olivier constitue encore une source de revenus importante pour beaucoup de familles en hiver, le figuier prenant le relais l’été. Le figuier se décline en plusieurs variétés locales ; la figue, son fruit, se consomme fraîche ou sous une forme séchée appelée tazart, la plus célèbre est celle de Beni Maouche : il aura suffi d’une participation, en 1986, à la foire de Cherbourg pour que la figue de la région obtienne la reconnaissance des spécialistes et remporte le premier prix au concours organisé lors de la foire, toutes deux accompagnées d’huile d’olive. La figue de barbarie est également présente en Kabylie.

À côté de ces deux arbres emblématiques de la région, les cultures céréalières sont importantes par la place qu’elles tiennent dans la gastronomie locale. C’est principalement le cas du blé et de l’orge qui entrent dans la confection du couscous et d’une variante locale spécifique, le seksou s’timzin, un plat d’orge préparé à l’occasion de festivités. Le blé et l’orge sont moulus dans des meules domestiques (tassirt) afin d’en dégager la semoule et la farine nécessaires.

Les cultures maraîchères bénéficient de la pluviométrie et des abondantes ressources en eau de la région et dans pratiquement chaque village existent des vergers de montagne. On y cultive la grenade, le raisin, l’amande et dans la vallée de la Soummam, l’orange et le citron. Il subsiste encore un savoir-faire pour la confection des colliers en perles de lait d’amande (azrar n skhav). La variété de la patisserie locale permet de valoriser des produits comme le zeste de citron et l’eau de fleur d’oranger. La population pratique également la cueillette de plantes aromatiques comme le laurier-rose, qui pousse dans le lit des rivières et évoque dans la poésie kabyle l’amertume.

La région est aussi, au niveau de l’Afrique du Nord, un centre majeur pour l’élevage et la production laitière. L’emploi des feuilles de figuier et des brindilles d’olivier pour l’alimentation des troupeaux permet de préserver les ressources fourragères. À chaque pratique agricole correspond une saison dans le calendrier amazigh, où le jour de Yennayer, le « nouvel an berbère » fêté le 12 janvier, marque le début d’un nouveau cycle de travaux.

Patrimoine culturel kabyle : Cuisine

Ifelfel azeggagh – piment rouge séché au soleil

Ifelfel azeggagh – piment rouge séché au soleil

La cuisine kabyle emploie comme céréales de base le blé ou l’orge, utilisés notamment pour le couscous qui se définit d’abord comme un plat de semoule roulée (le terme kabyle seksu renvoie à imkeskes, « bien roulé », « arrondi »). Le couscous d’orge (seksou s’timzin), à la viande et avec une sauce de légumes, ou encore l’amakfoul, le « couscous printanier » aux légumes (petits pois, fèves, carottes), sont des spécialités de la région. Le couscous peut aussi se servir avec du lait caillé (ighi).

Les céréales sont aussi utilisées pour faire le pain (aghrum), galette de semoule ou amatlou plus épais. La semoule est employée dans certaines spécialités locales comme le tahboult (omelette en sauce) ou le tiqourbabine (boules de semoule parfumées, épicées aux légumes et à la viande), deux plats préparés pour l’Aïd ou Taachourt.

La cuisine kabyle utilise beaucoup une poudre de piment rouge appelée ifelfel azgwagh, qui sert à relever le goût des plats. Ainsi le couscous se fait avec une sauce d’accompagnement rouge et pimentée, tandis que la chorba s’accompagne de blé vert concassé (frik) et de menthe. Les légumes peuvent être cuits puis écrasés pour donner le ahmiss, une salade de poivron et de tomate à l’huile d’olive, ou bien la chakchouka, avec des oignons notamment. L’olive occupe aussi un grand rôle, pour son huile dont chaque maison kabyle conserve avec soin son propre stock, mais aussi entière dans des plats comme le tajine au poulet.

La cuisine kabyle varie d’une localité à l’autre, selon les cultures pratiquées et les influences extérieures. Par exemple, dans les localités côtières, le poisson est couramment consommé et utilisé dans les plats comme le couscous d’orge au poisson de Jijel (seksou sel slem), qui nécessite des espèces bien charnus comme le mérou, la bonite ou le rouget de roche.

La consommation de fruits est importante, qu’il s’agisse des figues fraîches, des figues de Barbarie, des raisins, des grenades, des mûres ou, dans la vallée de la Soummam, des oranges. Excepté dans les pâtisseries où les agrumes comme le citron ou l’orange sont utilisés pour leur zeste, les fruits sont assez peu cuisinés et consommés le plus souvent frais ou séché, comme la figue ou le raisin. Les figues séchées (tazart) sont consommées en accompagnement des plats principaux (couscous, chorba) ou bien seules avec de l’huile d’olive, comme petit déjeuner.

La pâtisserie traditionnelle kabyle est elle aussi assez variée. Ouverte aux influences du reste du pays, elle est traditionnellement réservée aux grandes occasions. Une des préparations les plus courantes est sfenj, le beignet local. Le tahboult est consommé en guise de dessert, avec du miel et de l’arôme de fleur d’oranger. Une des pâtisseries les plus connues est le makrout, en forme de losange plat. Diverses pâtisseries aux amandes et à la semoule accompagnent le café ou le thé à la menthe.

Patrimoine culturel kabyle : Musique

Troupe idheballen

Troupe idheballen

La musique kabyle traditionnelle est l’achwiq. On retrouve son influence dans le chaâbi algérien, forme populaire de la musique arabo-andalouse, dont quelques-uns des meilleurs interprètes sont originaires de Kabylie. C’est le cas de Hadj M’hamed El Anka et d’Abdelkader Chaou, qui ont interprété dans le registre andalou des textes en kabyle. D’autres chansons, comme Yal Menfi de Akli Yahyaten, sont des reprises en arabe algérien de chants kabyles anciens.

La région possède des troupes de musiciens traditionnels appelés idheballen, qui se produisent à l’occasion des fêtes de mariage ou pour Yennayer. Il y a deux écoles d’idheballen, celle des Igawawen qui correspond à la Grande Kabylie et celle des Aït Abbas en Petite Kabylie. Ils utilisent plusieurs instruments locaux :

Abendayer : instrument à mi-chemin entre le tambourin et la caisse claire, il ne comporte qu’une seule face de percussion. Il est composé d’un cadre circulaire en bois sur lequel est tendue une peau de chèvre.

Lghidha : constitué d’un tube cylindrique de 30 à 50 cm de longueur, en bois tendre (abricotier, jujubier ou noyer) percé de sept orifices, cet instrument se joue en souffle ininterrompu, ce qui demande au musicien une grande maîtrise et un effort important.

T’bel : instrument à percussion à baguettes, gros tambour à double membrane.

Thizemmarine : double trompette confectionnée à partir de deux roseaux accouplés et attachés, elle émet un son analogue à celui de la cornemuse. Elle est percée de quatre ou parfois cinq trous disposés en paires. Les tuyaux constituant le corps de l’instrument sont prolongés par deux cornes de bœuf ou de gazelle qui amplifient le son. C’est un instrument utilisé en Grande Kabylie.

Ajouak (flûte) : instrument par excellence de la musique de la solitude, il était généralement utilisé par les bergers.

Ghita n’tilout (Cornemuse) : instrument par excellence de la musique de la fête, il était généralement utilisé par les bergers.

 Patrimoine culturel kabyle : Littérature orale

Essentiellement orale encore, la littérature kabyle est principalement représentée par deux genres : la poésie et le conte. L’un et l’autre se transmettent dans un registre de langue sensiblement différent de celui employé dans la vie quotidienne. C’est à la foi un mélange d’archaïsme et d’expressions anciennes, mais aussi de modernité, ce qui lui donne un cachet littéraire sans constituer un obstacle à sa compréhension par tous les Kabyles. Plus consciente et parfois engagée, la poésie semble avoir pris le pas sur le conte qui n’a pas encore débouché sur la prose artistique.

La poésie kabyle traditionnelle relève de la tradition orale berbère et africaine. On y distingue plusieurs genres. Le poème épique est dit taqsit (histoire, geste), le poème lyrique asfrou (élucidation) et la pièce légère, parfois chantée, izli (courant d’eau). Cependant le mot asfrou tend de plus en plus à désigner le poème sans distinction de genre et, au pluriel isfra, la poésie en général. Cette évolution rejoint l’usage que les poètes épiques faisaient déjà du même mot dans leurs exordes, qui débutent parfois par ce vers : « A yikhf iou refd asfrou » (« Ô ma tête, fais jaillir un poème »). Par ailleurs, le verbe sfrou (élucider, percer l’inconnu), employé sans complément, a le sens exclusif de dire ou réciter des vers, de la poésie, quel qu’en soit le genre. Le poète kabyle traditionnel le plus célèbre est Si Muhand U M’hand, qui vécut au XIXe siècle.

Le conte démarre toujours par la formule « Machaho ! Tellem Chao ! ». Les histoires les plus célèbres sont celles de Mohand Ucen (Mohand le chacal) et de Djeha, personnage rusé propre à l’imaginaire nord-africain. Le conte kabyle a fait l’objet de nombreux travaux d’étude et de synthèse comme ceux de Mouloud Mammeri et de Camille Lacoste-Dujardin.

La tradition orale kabyle renferme aussi de nombreux proverbes (inzan). On peut également y intégrer les nombreux chants interprétés par les femmes : ils sont exécutés, accompagnés du bendir, pour les grandes occasions et particulièrement pour les mariages, lors de la cérémonie de l’ourar et du henné.

 Patrimoine culturel kabyle : Tradition lettrée

Manuscrit d'un qanun, recueil de droit coutumier

Manuscrit d’un qanun, recueil de droit coutumier

À l’époque de la régence d’Alger et probablement depuis celle des Hammadides, il existe dans certains villages une tradition écrite entretenue principalement par une élite de lettrés. La bibliothèque du Cheikh El Mouhoub, des Beni Ourtilane, un érudit du XIXe siècle, en est l’exemple le plus connu depuis son exhumation par les chercheurs de l’université de Béjaïa, au milieu des années 1990. Avec plus de 1 000 volumes en provenance de lieux et d’époques variées, de l’Andalousie à l’Extrême-Orient et du IXe siècle au XIXe siècle, elle couvre des domaines divers : astronomie, sciences, médecine, droit coutumier local, savoir religieux (fiqh) et comporte aussi des manuscrits en tamazight transcrit en caractères arabes. Une partie de ces ouvrages a été détruite durant la période coloniale, l’autre est étudiée à l’université de Béjaïa.

Institutions et événements culturels

Le Borj Moussa à Bejaia abritant le musee de la ville

Le Borj Moussa à Bejaia abritant le musee de la ville

La ville de Béjaïa possède le musée du Borj Moussa, aménagé dans un ancien fort espagnol et où sont présentés des vestiges préhistoriques, romains et de l’époque hafside. Il abrite également une collection d’oiseaux et d’insectes de toute l’Afrique. Sa collection de peintures inclut des toiles d’Émile Aubry et de peintres algériens comme Tabekouch et Farès. Le musée de Sétif est consacré pour sa part aux antiquités des périodes romaine, numide et islamique. Il présente une collection de monnaies en bronze d’époque numide, mais aussi islamique et ottomane. Une salle est consacrée aux mosaïques romaines, une autre à la calligraphie arabe.

La maison de la culture de Tizi Ouzou, inaugurée en 1975, est la première du genre en Algérie. Sa mission est la promotion de la musique, du cinéma et du théâtre local. C’est aussi un lieu de mise en valeur de la culture berbère traditionnelle, avec notamment des expositions consacrées aux arts populaires. La maison de la culture de Béjaïa possède des ateliers culturels de formation, un café-théâtre, un café littéraire et un café-cinéma.

Les institutions culturelles sont ouvertes sur les cultures des autres régions d’Algérie et de toute l’Afrique. Ainsi tous les ans se tient en juillet à Tizi Ouzou le « Festival arabo-africain des danses folkloriques », consacré aux danses traditionnelles du continent, avec la participation de délégations de tous les pays africains. Les manifestations ont lieu dans la rue et animent la ville et ses environs durant plusieurs jours, au rythme des derboukas et des djembés.

Les villages aussi organisent leurs festivals et fêtes traditionnelles : à Lemcella se tient chaque été une « fête de la figue » axée sur la culture millénaire de ce fruit et sur l’écologie ; en hiver se déroule dans divers villages de la région une « fête de l’olivier » qui est l’occasion pour les agriculteurs de proposer à la vente les produits du terroir local comme l’huile d’olive et d’améliorer ainsi leurs revenus. L’artisanat kabyle a chaque été sa « fête de la poterie », à Mâatkas, où sont exposées des créations de toute l’Algérie. En juillet, la « fête du bijou » des Aït Yenni permet aux orfèvres de la région de présenter le résultat de leurs savoir-faire jalousement gardés et de vendre leurs plus belles piècLe « festival du tapis » d’Aït Hichem, où des artisans des Aurès et du Mzab exposent leurs créations à côté de celles de Kabylie, est aussi l’occasion d’un concours destiné à récompenser la meilleure tisseuse.

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